Les Portes du Tarn (Saint-Sulpice-la-Pointe, Tarn)

 

Le site « Le Bois de l’Hôpital » (commune de Saint-Sulpice, Tarn) a été fouillé préalablement à l’aménagement de la ZAC « Les Portes du Tarn » étendue sur un périmètre de 1 980 000 m². Cette immense emprise a fait l’objet d’un découpage en tranches suivant les acquisitions foncières prévisionnelles. Le site du Bois de l’hôpital constitue un seul et même site dont l’emprise s’étend sur deux tranches du projet d’aménagement (tranche 1 et 2a) ; il a donc fait l’objet de deux prescriptions de fouille en fonction des tranches concernées. L’intervention archéologique s’est effectuée sur une superficie globale de 35 000 m², répartie en 13 secteurs (secteur 0 : OA 149093 ; secteurs 1-12 : OA 149186) localisés contre l’A68 reliant Toulouse à Albi.

La fouille préventive du site a duré 6 mois avec une quinzaine d’archéologues, 6 pelles mécaniques et deux dumpers. Elle a été fortement mécanisée comme le préconisait le cahier des charges du SRA. Une trentaine de « locus » de fouille paléolithique, d’ampleur très variable mais couvrant une surface totale d’environ 80 m², ont néanmoins été traités manuellement. Parmi cet ensemble, 32 m² concernent des fouilles carroyées réalisées en secteur 0, le reste (une cinquantaine de m²) se répartissant sur l’ensemble des secteurs de fouilles (principalement en secteur 3) par le biais de zones plus ou moins étendues et explorées/testées manuellement et rapidement sans carroyage préalable.

Sur l’ensemble des emprises, 19 818 objets archéologiques ont été côtés, représentant au total près 3,5 tonnes de mobilier conditionnées dans plus de 300 caisses grises en plastiques gerbables de « Normes Europe ». L’essentiel de ce mobilier se compose d’industrie lithique sur quartz, parfois sur quartzites, silex et autres matériaux lithiques. S’y ajoute 114 tessons (ou lots de tessons) de céramiques, 3 ensembles de vestiges osseux et 5 objets métalliques.

Le site est localisé sur un replat topographique d’origine alluviale bien individualisé sur la rive gauche du Tarn, juste en aval de la confluence avec l’Agout. Large d’à peine 500 m, ce replat domine d’une vingtaine de mètres la plaine actuelle (ou « basse plaine ») du Tarn. Le site s’insère dans une couverture limoneuse épaisse d’environ 3 à 4 m qui recouvre la basse terrasse Fy du Tarn, entre, au sud, le talus formant la transition avec la moyenne terrasse Fx et, au nord, celui probablement formé par l’encaissement du Tarn au cours du précédent Interglaciaire.

La fouille préventive du site a permis de compléter précieusement les nombreuses données stratigraphiques déjà acquises durant les diagnostics, ce qui a permis de proposer un cadre pédostratigraphique solide aux occupations reconnues. L’ensemble de la séquence a bénéficié d’un calage chronostratigraphique inédit basé sur une série de 9 datations par radiofluorescence qui s’étagent entre 164 ± 9.2 ka (nappe alluviale grossière) et 39.2 ± 3.8 ka (horizon BT1), soit du MIS6 au MIS3.

Sa formation peut schématiquement se résumer ainsi :

Phase 1 (MIS6) – Sur la basse terrasse, les premiers apports limono-loessiques recouvrent les dépôts d’inondation du paléo-Tarn sans discontinuité majeure (UPS13). Une large dépression chenalisante est encore active dans toute la moitié ouest du terrain à l’emplacement d’un probable bras du Tarn ou de la Mouline d’Azas en voie de colmatage (UPS6 et 7). Ailleurs, la sédimentation limono-loessique se généralise (début de l’UPS5), de même que sur le talus sud (UPS12). A la fin de cette phase, un épisode érosif se manifeste sous forme d’une nappe de matériaux grossiers soliflués issus de la moyenne terrasse Fx (UPS11) qui alimentent le pied de talus (nappes de graviers du locus 3).

Phase 2 (MIS5e) – Une période tempérée permet le développement d’un premier sol lessivé sur le talus sud (BT3) et sur la basse terrasse (base de l’UPS5 ?). Au nord-est, une première occupation prend probablement place sur la rive gauche de la paléo-Mouline d’Azas (UA1).

Phase 3 (MIS5) – A l’est, des crues en provenance du talweg de la Mouline d’Azas déposent des nappes de graviers en direction du nord-ouest (première génération de chenalisations). Différentes occupations se déroulent sur la basse terrasse durant cette période (UA2), recouvertes par la sédimentation limono-loessique qui se poursuit (UPS4) et qui est suivie par le développement d’un sol podzolique en contexte boréal (illuviations grises des UPS4 et 5).

Phase 4 (MIS4) – Sur le talus sud, une seconde nappe grossière se met en place par solifluxion (UPS10). Elle est pénécontemporaine d’un ou plusieurs épisodes d’apports graveleux qui recouvrent la basse terrasse, associés ou suivis par de l’érosion diffuse (UPS4a, pavage). Au niveau du locus 0, l’encaissement du réseau hydrographique a provoqué le recul du versant (pente plus marquée). Des écoulements entaillent le sol et remobilisent du mobilier lithique (seconde génération de chenalisations). Une ou plusieurs phases d’occupation se déroulent durant cette période (UA3). Le développement d’un horizon humifère (boréal ?) termine peut-être cette phase (futures concrétions ferromanganiques ?).

Phase 5 (MIS3 et 2) – Les apports limono-loessiques recouvrent le niveau précédent (UPS3b). Une occupation marque le début de cette période (UA4.1). A l’amorce du versant nord-est, un second pavage interrompt la sédimentation (USP3g). Cette phase est ensuite marquée par un ou plusieurs épisodes périglaciaires à gélisol (fentes associées à une structure lamellaire et des agrégats cryogéniques). Des occupations surviennent postérieurement (UA4.2).

Phase 6 (MIS1) – La différentiation du sommet du profil limoneux se poursuit durant l’Interglaciaire actuel (UPS1, 2 et 3a). Un paléosol humifère est localement piégé sous des colluvions (historiques ?, UPS9). Enfin, la mise en culture du terrain aplanit le relief, un vallon sec subsiste à l’aplomb de la dépression chenalisante.

Le site de singularise donc par la présence de plusieurs ensembles archéologiques bien distincts au degré de conservation variable mais permettant de documenter de façon inédite une récurrence d’occupations humaines qui se sont bien déroulées in situ (et non sur la moyenne terrasse).

L’unité archéologique inférieure (UA1) la plus ancienne, a été essentiellement identifiée dans la partie centrale de l’emprise du locus 0, à la base de l’UPS4b dans un niveau affecté par des apports liés au fonctionnement de chenalisations graveleuses. Dans ce secteur, 260 objets lithiques se répartissent selon plusieurs aires proches dont une marquée par une forte proportion d’outils façonnés (bifaces essentiellement), la seconde, quelques mètres plus à l’est, est plus dense et axée sur des activités de production de petits supports. Cet ensemble est rapportable à un acheuléen de l’extrême fin du MIS6 ou du début de l’MIS5. La présence de restes dentaires, certes mal conservées, juste en dessous de cette première unité, vient renforcer le potentiel de ce niveau alors qu’aucun reste organique n’a été découvert ailleurs sur le site.

L’unité archéologique 2 (UA2) correspond au niveau moustérien inférieur positionné au sommet de l’UPS4b. Peu dense (0,05 pièce/m2), il se démarque du niveau principal sus-jacent par la présence de plusieurs concentrations lithiques bien individualisées (aires de débitage) traduisant, par endroits au moins, de meilleures conditions de conservation. Ce niveau regroupe au total 2190 pièces, soit un peu moins de 12 % du corpus lithique total étudié. Deux principaux modes de production sont documentés sur quartz et quartzite : un débitage frontal, essentiellement mené de façon unipolaire dans l’épaisseur des galets, et principalement sur enclume, et un débitage discoïde notamment dans sa modalité unifaciale. Ce dernier est fréquemment mis en œuvre sur gros éclat corticaux obtenus dans le cadre du débitage frontal ou par facturation/segmentation violente de galets, attestant ainsi de chaines opératoires ramifiées. Sur silex, la production est majoritairement Levallois de type récurrent centripète. Faciès économique, chaines opératoires, concepts de débitage, outillages, types de matières premières et économie de ces dernières sont très semblables au niveau moustérien principal. Quelques nuances peuvent être signalées, notamment au niveau de son taux d’outillage moindre (1 %) et par une proportion plus marquée de pièces bifaciales. L’ensemble se rattache clairement au Moustérien dont le calage chronostratigraphique renvoie à une (ou plusieurs) occupation (s) de la fin MIS5. Il s’agit d’un Moustérien à débitage Levallois dans le secteur 3 et à débitage discoïde dominant, Levallois sur silex et bifaces dans le secteur 0.

L’unité archéologique principale (UA3), objet de la prescription de fouille, se présente sous forme d’une nappe continue d’objets (plus de 15 000 pièces), plus ou moins dense (0,32 pièce au m2 en moyenne), associée à un niveau graveleux (UPS4a) interprété comme un pavage provoqué par l’évacuation progressive de la fraction fine du sol (résidualisation d’occupations polyphasées initialement séparées par des apports limoneux ou à un mélange d’occupations qui se sont déroulées sur une même surface).
Le faciès économique de cette industrie est clairement de type mixte combinant production et consommation de supports : apports de galets, forte activité de débitage pour produire de nombreux outils, peu de transformation, abandon des outils usés et/ou cassés. Deux principales chaines opératoires indépendantes sont attestées : une chaîne opératoire de façonnage, minoritaire, mise en œuvre sur gros galets de quartz pour la confection de macro-outillage (choppers essentiellement) et une chaine opératoire de débitage, largement majoritaire, tournée vers la production de supports variés mais préférentiellement de section asymétrique opposant tranchant et dos préhensile. Cette chaine opératoire de débitage dominante est réalisée à partir de galets de quartz, parfois de quartzite ou d’autres matériaux, rarement sur silex. Plusieurs concepts de débitage peuvent intervenir indépendamment, et exceptionnellement de façon successive, sur la même matrice. Un débitage unipolaire frontal réalisé sur enclume à partir de galets majoritairement plats ou aplatis, de section parallélépipédique (quadrangulaire), épais ou non ; et un débitage discoïde, majoritairement sur galets aplatis ou ovoides à section ovalaire, avec une nette préférence pour les matériaux les plus fins et homogènes (QZ3 et QZ5, quartzite et silex). Des processus de ramification des chaînes opératoires sont nettement attestés par une chaîne opératoire secondaire (ou sous-chaine opératoire) qui se manifeste par la récupération de matrices produites par débitage sur enclume. Ces matrices (grosses entames, gros fragments diaclasiques ou hemi-galets issus de la fracturation de galets) sont utilisés dans le cadre d’une production discoïde, majoritairement unifaciale. Les productions premières ou principales et productions secondes dérivées ou secondaires sont donc ici semblables puisque les objectifs restent l’obtention de supports opposant talon et ou dos à un ou plusieurs tranchants. Enfin, une chaine opératoire Levallois s’exprime préférentiellement sur galets
en silex, exceptionnellement sur quartzite et quartz fin (QZ3a).
L’outillage est peu représenté (2,4 %) mais regroupe néanmoins 369 pièces transformées. Les outils en quartz dominent l’ensemble (72,8 %), avec légèrement plus d’outils façonnés (n = 138) que de retouchés (n = 131), devant les outils en silex (19,5 %) qui, en revanche, ne comptent que 2 pièces potentiellement façonnées pour 70 retouchées. Quartzites et autres matériaux comptent respectivement pour 4 et 3,5 % ; outils façonnés et retouchés sont à part égale pour le quartzite alors que les premiers dominent largement les autres matériaux (hors siliceux). Au final, la proportion moyenne outils façonnés/retouchés est dans cette unité à l’avantage des outils retouchés (57,6/42,4 %) notamment grâce à leur forte proportion dans la catégorie silex. Les outils sur éclats sont ainsi au nombre de 212, préférentiellement en silex (n = 133, lydienne comprises) ou en quartz fin (QZ3a = 1/3 des quartz retouchés). Ils sont dominés par le groupe des encoches/denticulés (n = 69), soit une moyenne de 18,8 % de l’ensemble des outils, pouvant culminer à 22 % pour le quartz. Les racloirs latéraux forment le second groupe d’outils retouchés (n = 45) et se classent même en première position au sein des silex (n = 19). A l’échelle de l’ensemble des outils, la représentation de ce groupe est de 12,2 % (tous matériaux) et de 26,4 % (silex). A noter la présence de plusieurs grands racloirs (parfois > 15 cm) confectionnés sur des entames en quartz ou quartzite. Quant aux outils façonnés, ils sont majoritairement (à près de 70 %) constitués de galets aménagés (G10 = 106) de type chopping tools (n = 6) et surtout choppers (n = 100). Ce groupe forme même l’ensemble le plus représenté de tous les outils (28,7 %). On note également la présence de 5 bifaces ou fragments (1,4 % des outils) uniquement en quartz et de 45 galets à chant épannelé tous en quartz excepté 1 quartzite.
Systèmes de débitage, outillages, variété et économie des matières premières permettent de rapporter, sans ambiguïté, cet assemblage au Moustérien. Son calage chronostratigraphique le place même dans une phase récente du Moustérien datée de la transition entre les stades 3 et 4. De par son originalité, son rattachement à un technocomplexe moustérien connu régionalement, tel que le Vasconien ou le MTA, est écarté.

L’unité archéologique supérieure 1 (UA4.1) n’est représentée que par une concentration lithique fouillée manuellement dans la partie NE du secteur 0, à la base de l’UPS3b. Il s’agit d’une aire de débitage rattaché à un Paléolithique moyen daté de la première partie du MIS3.

L’unité archéologique supérieure 2 (UA4.2) est un ensemble qui regroupe du mobilier lithique culturellement hétérogène et présent de façon marginale au-dessus de la nappe d’objet principale, généralement au sommet de l’UPS3 (UPS3a et b sommet).

L’unité archéologique sommitale (UA5) regroupe les vestiges (céramiques essentiellement et quelques fragments et galets de quartz) situés au sommet de la séquence (UPS2) et principalement rattachés à des occupations de la fin du Second Âge du Fer au début de l’Antiquité, également attestées par une soixantaine de structures, très souvent arasées (fosses, fossés, épandage de mobiliers chauffés, puits…).

Le site stratifié de plein air du Bois de l’Hôpital constitue aujourd’hui une référence pour l’étude et la compréhension des occupations paléolithiques de la vallée du Tarn et de l’ensemble de la région pyrénéo-garonnaise.

INTERVENANTS :

Aménageur : SPLA « Les Portes du Tarn »
Prescripteur : DRAC – SRA Occitanie
Opérateur : Paléotime



AMÉNAGEMENT :

Parc d’Activités



LOCALISATION :

 



RAPPORT FINAL D’OPÉRATION :

Référence bibliographique :
BERNARD-GUELLE S. (dir.), TALLET P., AJAS A., BOUFFARD L., CHASSAN N., CHESNAUX L., FERNANDES P., GRIGGO C., KREUTZER S., MERCIER N., MINET T., MONIN G., RUÉ M., VIALLET C. (2019) – Saint-Sulpice-la-Pointe, Le Bois de l’Hôpital (Tarn). Rapport final d’opération, fouille préventive, Service Régional de l’Archéologie Midi-Pyrénées, Toulouse, Paléotime, Villard-de-Lans, 3 vol., 1155 p.

 
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